Argumentaire

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Les enfants passant par des dispositifs de la Protection de l’enfance ont des parcours scolaires particulièrement marqués par les difficultés. Depuis les années 1990, les résultats des recherches françaises rejoignent les constats à l’échelle internationale (Berridge, Dance, & Beecham, 2008; Chase, Simon, & Jackson, 2006) et soulignent régulièrement ces difficultés à partir de plusieurs indicateurs. Ces difficultés se caractérisent par exemple par une plus faible propension à ne pas être en retard dans le parcours scolaire (Dumaret & Ruffin, 1999; Mainaud, 2013), ou par des scolarisations en classes spécialisées plus fréquentes (Denecheau & Blaya, 2013; Potin, 2012).

À la fin du collège, les orientations vers les cycles professionnels sont plus importantes (Paugam, Zoyem, & Touahria-Gaillard, 2010; Potin, 2013). À 16 ans, 37% sont scolarisés en second cycle professionnel, et 15% en second cycle général et technologique (Abassi, 2020). Les choix d’orientations sont contraints par les ressources plus réduites dont ils disposent à la sortie de la prise en charge et peuvent privilégier les voies qui semblent présenter le moindre risque pour atteindre une indépendance financière plus rapidement. À la fin de l’obligation scolaire, la sortie du système éducatif est plus rapide que pour l’ensemble de la population malgré une volonté de poursuivre vers des études supérieures (Frechon & Marquet, 2018), cette sortie génère des difficultés pour la transition à l’âge à adulte.

Face à ces constats, cette journée d’étude sera consacrée à l’actualité des connaissances sur les scolarités des enfants suivis ou pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance et sera composée de communications qui actualiseront ou préciseront ces résultats, mais qui s’intéresseront également aux possibilités d’actions, qu’elles soient individuelles ou institutionnalisées. Plusieurs pistes pourront être abordées pour affiner la compréhension (1) de ces scolarités, des publics de la Protection de l’enfance et de leurs parcours, mais aussi (2) des pratiques professionnelles, et (3) des politiques et des organisations qui leur sont destinées.

Les enfants, leurs parcours socio-scolaires

Au 31 décembre 2018, 355000 enfants étaient suivis dans le cadre de la protection de l’enfance, dont 53% étaient placés, majoritairement en famille d’accueil ou en établissement (DREES, 2020). Les enfants placés sont le plus souvent issus de familles qui cumulent des conditions socio-économiques précaires et un éloignement de la culture scolaire (Perier, 2005). On constate une sur-représentation de difficultés liées au logement, à l’emploi et aux ressources, mais aussi aux situations de handicap (Dumaret & Ruffin, 1999; Durning, 1995; ODAS, 2007). Toutefois, la population reste hétérogène et ne peut être résumée à ces tendances, elle est composée de plusieurs publics aux situations et parcours divers. Des recherches consacrées aux Mineurs non accompagnés, par exemple, mettent au jour des temporalités contraignant les parcours, et des scolarités qui peuvent être prises comme des moments de transition (Lemaire, 2011), marquant une différence forte avec le reste de la population.

Les parcours en protection de l’enfance sont également divers et impactent différemment les situations des enfants, et principalement lorsque les enfants sont placés hors de leur famille (Potin, 2012). Selon leur durée, les lieux de placement, leur forme et leur stabilité, ils peuvent faciliter ou rendre plus difficile la scolarité. Par ailleurs, les lieux de placements peuvent être privilégiés pour des raisons différentes, le placement dans une famille ayant tendance à être privilégié pour les enfants les plus jeunes, il est souvent associé à des difficultés plus précoces (Frechon & Breugnot, 2019). En même temps, l’investissement de la scolarité par les adultes en charge de leur accueil suit la logique des possibilités de projection (plus l’enfant est promis à un parcours long en protection de l’enfance, plus les adultes projetteront des formes d’ambition scolaire sur son parcours) (Potin, 2012). Enfin, la fin du placement n’est pas associée aux mêmes sorties du système éducatif, et les ressources disponibles (matérielles, humaines et financières) discriminent fortement l’entrée à l’âge adulte et sont un marqueur fort d’inégalité avec le reste de la population (Jackson & Cameron, 2012).

La prise en charge génère souvent des ruptures pour ces enfants, fragilisant de fait leur scolarité. Qu’en est-il de leur expérience scolaire ? Outre les changements d’établissements, ils peuvent subir un étiquetage défavorable tant de la part de leurs pairs que de leurs enseignants (Denecheau, 2013; Mannay et al., 2017). Par ailleurs, les réussites scolaires peuvent avoir des effets vertueux, sur l’engagement des jeunes par exemple, les jeunes français placés qui se retrouvent dans les associations d'anciens placés étant parmi les plus dotés scolairement (Lacroix, Vargas Diaz, Leclair-Mallette, Goyette, & Frechon, 2020).

Les lieux d’Aide sociale à l’enfance et les professionnalités

Les particularités des enfants peuvent donner lieu à un suivi ou une surveillance plus fréquente et plus accrue des professionnels (du travail social, de santé, de l’école) (Desquesnes, 2011) et générer des inégalités dans le traitement des situations (Serre, 2009). Les dispositifs de l’Aide sociale à l’enfance constituent différents espaces qui peuvent avoir un poids différent sur la scolarité. Les suivis en Assistance éducative en milieu ouvert ou en Aide éducative à domicile amènent des interactions ponctuelles entre des travailleurs sociaux, les parents et leurs enfants. La protection de l’enfance opère également des suppléances familiales lorsque des professionnels en viennent à « accomplir le plus souvent temporairement, à la place des parents la plupart des actes éducatifs usuels, sans toutefois les remplacer » (Fablet, 2000). Les recherches ayant abordé les lieux de placement hors de la famille, qu’il s’agisse des familles d’accueil (Anton Philippon, 2017; Sellenet, 1999), des foyers (Denecheau, 2013) ou encore des villages d’enfants (Join-Lambert, Denecheau, & Robin, 2019), identifient l’effet du placement, notamment du fait de sa nouvelle reconfiguration et du rapport à l’école qu’il présente. L'environnement n'est pas toujours plus propice au soutien scolaire, et si la prise en charge vise une meilleure protection, elle peut apporter autant des soutiens que des difficultés sur le plan de la scolarité.

Un poids important repose sur les professionnels qui appréhendent la question scolaire dans des configurations multiples. Leur sélection et leur formation (Bodin, 2009), mais aussi leur rapport à l’école (Denecheau & Blaya, 2014; Potin, 2013), les moyens dont ils disposent, influent sur l’appréhension de la question scolaire et le soutien qu’ils peuvent apporter, autant dans le quotidien qu’au moment des orientations.

Partenariats, alliances, coéducations

L’intervention de la protection de l’enfance, en situation de placement comme en milieu ouvert, fait entrer les travailleurs sociaux dans l’ensemble des acteurs impliqués – ou enjoints de l’être – dans la scolarité des enfants concernés. L’école peut également alimenter les difficultés rencontrées par ce public, un des enjeux étant le croisement d’acteurs aux fonctions, ethos et pratiques différents. On peut observer des achoppements, des distances qui reconfigurent les actions éducatives et les pratiques, modifiant les divisions du travail éducatif observées jusqu’alors (Tardif & Levasseur, 2010).

Instituées ou informelles, les interactions composant les actions éducatives sont étudiées sous le prisme des concepts de coopération, co-éducation, communauté éducative, partenariat, ou encore des alliances éducatives. Le travail entre différentes institutions ne va pas de soi (Chauvière & Fablet, 2001). Lors de cette journée, les communications pourront aborder les modes de coopération et d’interaction entre eux, les partages ou divisions du travail, notamment son pan éducatif.

Par ailleurs, quelle place est prise par les – ou est laissée aux – parents ? Parmi les pistes soulevées pour impliquer les parents dans l’éducation de leurs enfants, les comparaisons internationales peuvent souligner l’importance de favoriser les espaces et les temps, sécurisés, au domicile parental, permettant « de laisser aux parents les responsabilités qu’ils peuvent exercer, tout en les suppléant sur celles qui leur posent problème » (Join-Lambert et al., 2014). Le milieu ouvert semble alors plus propice à ce soutien. Comme avec l’école, les relations entre les acteurs de la protection de l’enfance et les parents sont aussi importantes que difficiles. La difficulté réside peut-être d’abord sur l’asymétrie dans la relation du fait de la contrainte de l’intervention (Fablet, 2008), qui peut comprendre les risques encourus par les parents s’ils ne suivent pas les invitations ou demandes émises par les professionnels (Join-Lambert, 2011). Les contributions pourront aborder et étudier ce qu’en disent les acteurs.

Références bibliographiques

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Berridge, D., Dance, C., & Beecham, J. (2008). Educating difficult adolescents : Effective education for children in public care or with emotional and behavioural difficulties. London: Jessica Kingsley Pub.

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